Hommage à Bruno Ramos – interviews Christian « Zouille » Augustin (SORTILEGE) et François Merle (MANIGANCE)

Hommage à Bruno Ramos – interviews Christian « Zouille » Augustin (SORTILEGE) et François Merle (MANIGANCE)

28 juin 2025 0 Par Yug

La disparition de Bruno Ramos, le 18 mai 2025, a suscité beaucoup d’émotions dans le milieu du Metal. Bruno était apprécié pour ses talents de guitariste mais aussi pour ses qualités humaines.

Nous voulions, à notre manière, rendre un hommage à l’homme et au musicien qu’il était. Pour évoquer Bruno Ramos, il nous a semblé naturel de donner la parole à François Merle (MANIGANCE) et Christian « Zouille » Augustin (SORTILEGE) qui l’ont bien connu au sein de leurs groupes respectifs. Merci à eux d’avoir accepté de partager ces souvenirs.

 

Nous sommes en 1998. Le groupe MANIGANCE, fondé par le guitariste François Merle et le batteur Daniel Pouylau, est à la recherche d’un guitariste pour remplacer Vincent Mouyen atteint d’une maladie qui l’emportera en 2001.

Marc Duffau, le bassiste du groupe, présente Bruno au reste de l’équipe. François se souvient « Je connaissais Bruno du temps où j’étais dans KILLERS et lui dans MISTREATED. Nous nous étions croisés en studio et je savais qu’il était un excellent guitariste. La première fois où nous avons joué avec lui, je crois que c’est dans un bar à Tarbes lorsqu’il nous a rejoint pour taper le bœuf. Il a pris ma guitare, a commencé à jouer du PRETTY MAIDS et j’ai vu qu’il avait un niveau incroyable. Nous avons donc logiquement pensé à lui lorsqu’il a fallu chercher un guitariste. »

Les références de Bruno étaient les guitaristes Paul Gilbert et Joe Satriani dont il a étudié la façon de jouer sans oublier « Yngwie Malmsteen dont il était fan alors que j’étais plutôt Team Tony MacAlpine » se remémore François. « Après avoir rejoint MANIGNACE, il a commencé à s’intéresser au Prog et notamment à DREAM THEATER. »

Bruno se distingue par la maîtrise de son instrument mais aussi par son apparence « A l’époque, il avait déjà le crâne rasé, aux antipodes du look de Metalleux, et qui lui donnait un air de Bruce Willis du Metal (rires). » A propos de look, François nous apprend que Bruno pouvait faire preuve de fantaisie. « Il jouait aussi dans un groupe de reprises avec des copains qui s’appelait « Va faire un tour à l’hôpital » ou quelque chose dans le genre. Il aimait bien délirer et, pour le fun, il faisait les concerts en tenue d’infirmier. Bruno était un bon vivant et en soirée, il était toujours le premier à faire danser les filles (rires). »

Le groupe est au complet et MANIGANCE s’attelle à l’écriture du premier album « Ange ou Démon » pour donner une suite au EP « Signe de Vie » (1997). « Pour l’anecdote, nous avions enregistré un titre en anglais dans l’espoir de séduire le label NTS mais le résultat ne leur convenait pas. Le label nous a plutôt soumis l’idée de reprendre un titre de… SORTILEGE. Notre choix s’est porté sur « Messager » et nous l’avons enregistré rapidement car l’album était pratiquement bouclé. Ce qui est amusant c’est que Bruno n’était pas fan de ce genre de musique à l’époque car il était plus attiré par des groupes de prog’ mais ses goûts ont continué d’évoluer. »

En 2020, la carrière de Bruno prend un tournant important avec son intégration dans les rangs de SORTILEGE, nouvelle mouture, qui renaît de ses cendres après plusieurs décennies de silence. « Ma proposition est arrivée au bon moment et il n’a pas hésité à me rejoindre. » nous confie Zouille.

Un choix qui ne surprend pas vraiment François Merle « En réalité, j’ai ma part dans sa décision. On m’avait proposé de participer au projet « Tribute SORTILEGE » mais j’ai décliné car j’étais trop occupé par MANIGANCE. J’ai alors proposé à Bruno de prendre ma place, ce qu’il a accepté. C’est par le biais de ce tribute qu’il a fait connaissance avec l’entourage de SORTILEGE. »

Pourtant, les chemins de Bruno et de Zouille, chanteur de SORTILEGE, s’étaient déjà croisés. C’était en 2002, lorsque MANIGANCE invita le chanteur à les rejoindre sur la scène de l’Elysée Montmartre pour une reprise de « Messager ». C’était la première rencontre entre les deux hommes mais ils échangèrent très peu. Qui aurait pensé que quelques années plus tard…

A l’époque, Zouille a cessé ses activités musicales et n’a nullement l’intention de replonger dans le chaudron du Metal mais tout va basculer en 2019. Le 19 avril, le Tribute SORTILEGE se produit au Petit Bain à Paris. Pour cette occasion, les affiches annoncent la présence de trois anciens membres de SORTILEGE dont Zouille. A l’issue du concert, SORTILEGE annonce sa reformation mais le line up connaît des changements. Très rapidement, l’idée de faire appel à Bruno pour occuper le poste de lead guitare s’impose comme une évidence.

Les engagements avec SORTILEGE prennent de l’ampleur et Bruno fait part, à François, de sa difficulté à s’impliquer dans les deux groupes. « Je comprenais sa position mais je ne souhaitais pas que notre groupe soit l’annexe de SORTILEGE alors je lui ai demandé de faire un choix. »

Début 2020, SORTILEGE est à l’affiche de la croisière 70000 Tons Of Metal. Ce festival donne l’opportunité aux membres du groupe, de passer du temps ensemble et de se découvrir. « Bruno était quelqu’un de tellement agréable, sympathique et cultivé. On a tout de suite senti qu’il se passait quelque chose entre nous. » Zouille conserve un souvenir ému de cette croisière « Je me souviens que nous avions fait la fête après notre concert et je sentais Bruno tellement heureux d’être là. Je ne l’ai jamais vu aussi gai. »

Bruno s’est imposé comme l’un des guitaristes français les plus talentueux de sa génération. Un guitariste à la fois technique, puissant et mélodieux. « Bruno était un guitariste qui travaillait constamment son instrument. Il avait une puissance de jeu étonnante. Lorsqu’il appuyait sur la corde on avait l’impression qu’il allait passer au travers du manche. Il était capable de faire preuve de virtuosité et faire ensuite de longues notes avec un beau vibrato comme j’aimais. » (Zouille)
François appréciait tout particulièrement ses bends (ndr : technique qui consiste à tirer latéralement une ou plusieurs cordes afin d’augmenter leur tension) « A mon sens, c’est ce qui le caractérisait. Bruno faisait des montées de notes très rapides pour atterrir sur une note et faire un bend incroyable. C’est un peu la signature sonore d’un guitariste soliste et Bruno y était très attentif. »

C’était un vrai passionné de guitare et perfectionniste avec lui-même. « Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage », une expression appropriée pour Bruno qui répétait sans cesse jusqu’à parvenir au résultat souhaité. « Il consacrait sa vie à son instrument et travaillait continuellement pour améliorer sa technique. Il avait tout le temps une guitare dans les mains et dès le petit déjeuner. » se souvient François.

Son dernier disque est l’album live de SORTILEGE « Coram Populo » publié en 2023 (sans oublier le bonus EP « Toujours Plus Live au Forum » de 2024). Un beau testament musical car Bruno se sentait dans son élément sur scène. « Allez les gars, à cheval » disait-il avant de monter sur scène à l’époque de MANIGANCE. « Il suffisait de voir commet il était sur scène pour comprendre que c’est ce qu’il préférait. » Au fil des concerts, Bruno gagne en assurance. « Je l’ai vu progresser dans sa façon de se placer. A nos débuts, il était dans un coin et, au fil de temps, il a acquis de la confiance pour finir par se positionner à droite du chanteur ce qu’il a continué à faire avec SORTILEGE. »
« Bruno était fait pour la scène. Il suffit de voir le sourire qu’il arborait toujours en concert. Il adorait le contact avec le public. » (Zouille) « Il aimait partager des moments avec le public et il n’était pas du genre à rester isolé dans sa loge. » (François)

Bruno ne laissait rien au hasard et sa préparation était toujours optimale « Avant un concert de SORTILEGE, Bruno répétait le show complet et jouait chaque solo par crainte d’oublier une note. » François ajoute « Bruno était un bosseur et il se mettait dans les meilleures conditions pour assurer le concert. Il s’échauffait rigoureusement, répétait sa partition et ne buvait pas. » Il avait le souci du détail « jusqu’à se mettre en tenue bien avant de monter sur scène ».

Après l’effort, le réconfort. Une fois sortis de scène Bruno et Zouille avaient leur rituel. « On se retrouvait autour d’une Desperados bien fraîche. C’était notre truc. Et nous prenions bien soin de marquer Zouille et Nono sur les bouteilles sinon tout le monde nous les piquait dans le frigo. »

Bruno a enregistré une douzaine d’albums au cours de sa carrière. Certains sont devenus des classiques du Metal français (« Ange ou démon » en 2002, « D’un autre sang » en 2004 avec MANIGANCE) ou en passe de le devenir (« Apocalypso » de SORTILEGE sorti en 2023). L’expérience acquise au fil des années lui permettait d’être à l’aise en studio. Avec MANIGANCE, « Bruno écrivait ses solos sur le logiciel Guitar Pro après les avoir composés ». Cette rigueur dans le travail lui permettait de pouvoir les reproduire fidèlement y compris sur scène comme le confirme Zouille « Il était capable de reproduire un solo note pour note ce qui m’aidait énormément ».

Chaque groupe fonctionne de manière différente. Au sein de MANIGANCE, Bruno partageait le rôle de guitariste soliste avec François alors qu’il était le seul soliste de SORTILEGE. « Nous n’avions pas du tout le même jeu mais on se complétait. » indique François. « Il faisait la majorité des solos car j’étais plus à l’aise avec les rythmiques mais nous faisions beaucoup de choses ensemble. J’étais derrière la console quand il enregistrait ses solos et inversement. »

Pour SORTILEGE, Zouille et Olivier Spitzer (guitariste rythmique) supervisent les sessions en studio et aident les musiciens à se sublimer. Bruno appréciait cette façon d’opérer et les conseils qui pouvaient lui être prodigués. Il aimait être en studio car c’était aussi l’occasion de partager des moments de convivialité. « Un groupe est une famille et Bruno avait besoin de cela. De se sentir entouré, de se soutenir mutuellement, c’est quelque chose qui le portait. Chaque séance de studio est aussi un prétexte pour faire une bonne bouffe à la fin ». Ces moments de partage sont importants pour développer les liens, davantage encore pour Bruno qui pouvait se sentir isolé dans sa région du sud-ouest, loin de ses acolytes basés en région parisienne.

Bruno était très discret sur sa vie et beaucoup ignoraient la nature de ses activités. « Il était tellement humble qu’il ne parlait jamais de lui » indique Zouille. Peu de personnes savaient qu’il était responsable du cinéma Le Maintenon à Bagnères-de-Bigorre (65) et l’un de ses projectionnistes. Parmi les personnes qu’il côtoyait dans le cadre de ses activités autour du cinéma, rares étaient celles qui connaissaient l’importance de sa carrière musicale. « Le rock coulait dans les veines de Bruno. Sa passion pour la musique orientait sa vie, ses décisions. » souligne François.
Il ne ménageait pas ses efforts pour vivre pleinement ses passions tout en essayant d’en vivre. Bruno était passionné par la guitare sans être collectionneur pour autant. François confie qu’il n’hésitait pas à revendre du matériel s’il n’en n’avait plus l’utilité. « Il gardait ce qui pouvait avoir une valeur sentimentale mails il ne s’embarrassait pas avec le superflu » Il était toujours tourné vers l’avenir ce que confirme Zouille.

Discrétion et humilité reviennent souvent dans les bouches de François et Zouille pour qualifier la personne qu’était Bruno. Il se livrait peu et uniquement à des personnes de confiance. SORTILEGE était devenu sa deuxième famille comme le confie Zouille « C’était un frère pour nous. Nous formions une famille même si nous ne connaissions pas tout de lui car il était très discret. » François témoigne « J’ai vécu énormément de choses avec Bruno pendant 22 ans mais on ne savait pas toujours ce qui se passait dans sa vie car il avait ce côté discret presque solitaire. C’était une personne très attachante et sa disparition m’a beaucoup touché même si je ne l’avais pas vu depuis longtemps. »

Zouille vante aussi ses qualités en tant que partenaire dans un groupe. « On ne se s’est jamais pris la tête avec lui. Lorsqu’il y avait un point de discorde, cela se résolvait dans le calme ou la rigolade. » Un constat partagé par François « J’appréciais sa façon de fonctionner en équipe, notamment lorsque nous étions en studio. Il n’était pas du genre prise de tête et il avait un bon esprit »

Bien aimer rire était aussi un trait de caractère de Bruno qui était un bon vivant. « J’aimais sa soif de vivre. La vie était cool quand tu étais avec lui » se souvient François. Des anecdotes leur reviennent en mémoire. « Une scène me vient à l’esprit » se souvient Zouille. « Celle de Bruno marchant à côté d’Yves Campion, notre ancien manager. Il y avait le petit Nono tout chauve à côté d’Yves qui est du genre Chewbacca avec ses 2 mètres, ses longs cheveux et ses 110 Kg. C’était tellement mignon et amusant de les voir tous les deux que cette image me restera. »

« Bruno était un guerrier » se rappelle François « Un jour, il a une dent qui se casse alors que nous étions en plein tournée. Bruno ne se démonte pas, prend sa dent, de la glue et la recolle direct. Il n’était pas du genre à s’emmerder avec ce genre de problème (rires). Un autre souvenir de tournée me revient. C’était la dernière date avec ADAGIO et pendant leur set, nous sommes montés sur scène vêtus d’une petite culotte, soutien-gorge et perruque pour les draguer. Imagine-nous arrivés sur scène habillés en travestis. Bruno n’était pas très à l’aise mais il m’a suivi (rires) Voilà le genre de conneries que nous pouvions faire. »

Certaines expressions de Bruno pourraient faire l’objet de copyright. La « binch caouettes » pour demander une bière cacahuètes ou encore le « toijveudire » (tu vois ce que je veux dire) que Bruno prononçait avec son accent du Sud. « C’est tellement son expression que c’est devenu le nom du groupe que nous partageons sur les réseaux sociaux entre musiciens de SORTILEGE. Lorsque j’appelle Olivier (Spitzer), je ne dis plus « Allo » mais « toijveudire ». Ce sont des expressions qui resteront. »

Début février, Bruno poste un message sur ses réseaux sociaux laissant entrevoir une lueur d’espoir mais cette accalmie fut éphémère. « Nous savions qu’il était condamné car il souffrait d’un cancer agressif » confient Zouille et François. « Les traitements lui ont permis d’avoir un moment de répit et de bien-être mais cela fut de courte durée. »

Est-ce qu’il existe des enregistrements studios inédits de Bruno ? La réponse est négative. « Il a bien joué quelques solos en vue du prochain album de SORTILEGE mais rien d’exploitable malheureusement. Les solos seront l’œuvre de notre nouveau guitariste Mickael Zurita (SATAN JOKERS). Bruno a d’ailleurs validé notre choix de faire faire appel à Mickael. »
SORTILEGE aurait évolué dans une configuration inédite si la maladie n’avait pas eu le dernier mot. « Je n’y croyais pas beaucoup mais mon souhaitait aurait été que Nono remonte sur scène avec nous et que nous ayons trois guitaristes au sein du groupe. Mickael a toute sa place parmi nous. Il a fait un travail incroyable et je ne me voyais pas le remercier si Nono avait guéri. Nous aurions fait des choses extraordinaires ensemble car ils ont des jeux différents mais, je pense, complémentaires. »

Zouille conclut « Il était dans la vie comme il était sur scène. Généreux, souriant, plein d’amour, vraiment à l’écoute des autres et d’une grande humilité. Ce garçon était un amour et c’est d’autant plus triste qu’il soit parti si tôt ».

Des mots qui font échos à ceux de MANIGANCE dans l’hommage qui lui est rendu avec la vidéo du titre « Damocles »(*) aux paroles évocatrices. « … Nous nous rappellerons sa gentillesse, sa joie de vivre et de son enthousiasme qu’il aimait tant nous communiquer. Il s’est battu comme un lion, n’a jamais rien lâché. Sa force et sa détermination inébranlable resteront un exemple pour nous tous. Il va manquer à la musique. Il va nous manquer fort aussi. Bruno, nos prières t’accompagnent vers la lumière. Que ton envol soit doux et apaisé. Tu restes et resteras dans nos cœurs, éternel et brillant ! Bon voyage l’ami… »

Bruno laisse derrière lui sa fille Lucie. Une cagnotte a été créée pour l’aider à poursuivre ses études en l’absence de l’aide financière que lui apportait son père. Si vous souhaitez faire un geste en mémoire de Bruno, vous pouvez apporter votre contribution via le lien suivant : ICI. Merci pour elle.

Bruno n’a pas réussi à « chasser le dragon  » mais le dragon ne réussira pas à effacer le souvenir de Bruno. Il suffira d’écouter un titre de Manigance ou de Sortilège pour ramener Bruno parmi nous, tel un Phoenix…

A Bruno Ramos (1954 – 2025)

 

(* « Damocles » est extrait de l’album compilation de MANIGANCE « L’âme de fond » (2025). La version originale, sur laquelle figure Bruno Ramos, est présente sur l’album « D’un autre sang » sorti en 2004).