Dissonance Theory, CORONER

Dissonance Theory, CORONER

17 octobre 2025 0 Par Chacha


Trente-deux ans après Grin, Coroner sort enfin du silence. Pour beaucoup, ce retour relevait presque du mythe : comment un groupe aussi culte, aussi singulier dans le paysage du thrash technique, pouvait-il renaître sans trahir son héritage ? Avec Dissonance Theory, le trio suisse ne cherche pas à ressusciter le passé, mais à le confronter. Entre froideur mécanique, virtuosité contenue et lucidité post-industrielle, Coroner livre un album dense, réfléchi, où chaque dissonance devient le reflet d’un monde qui vacille entre ordre et chaos. Ce n’est pas un simple comeback : c’est la réécriture d’un langage, celui d’un groupe qui refuse de vieillir docilement.

 

L’identité visuelle de Dissonance Theory s’inscrit dans une esthétique froide et conceptuelle : la pochette, signée Stefan Thanneur, représente une spirale organique brouillée par un bandeau noir — symbole d’équilibre instable entre l’humain et la machine. C’est une image d’ordre et de chaos, comme si la matière elle-même hésitait entre structure et dissolution. Les clips prolongent ce sentiment : Renewal filme des rouages, des visages mécaniques, une usine qui respire — un monde aliéné par la technologie. Symmetry, plus introspectif, explore les reflets et la fragmentation de soi. L’univers visuel, tout comme la musique, semble interroger la place de l’individu dans un système qui se dérègle lentement.

Sur le plan créatif, Coroner ne cherche pas à raviver le passé mais à le transcender. Après trois décennies de silence studio, le trio s’est réuni sans nostalgie : « on voulait juste créer quelque chose d’honnête, ancré dans le présent », confiait Tommy Vetterli. Enregistré en Suisse puis mixé par Jens Bogren, l’album mêle rigueur technique et texture organique. Les riffs sont précis comme des machines, mais le grain du son, légèrement saturé, conserve une chaleur presque humaine. L’écriture, plus progressive, s’autorise la lenteur, les ruptures, les espaces — un metal intellectuel sans froideur.

Parmi les titres phares, Consequence frappe d’emblée par sa tension : un riff acéré, une batterie qui cogne comme un engrenage. En l’écoutant, je sens la vitesse me happer, comme si le metal devenait une ligne de fuite. Symmetry, hypnotique, répète ses motifs jusqu’à la transe ; c’est un miroir sonore dans lequel je me perds. Enfin, Transparent Eye offre un moment suspendu : la basse pulse doucement, la guitare plane, et je me surprends à flotter dans un espace sans gravité. Ces morceaux condensent ce que Dissonance Theory réussit parfaitement : traduire la dissonance — entre raison et instinct, chair et circuit — en émotion pure.

 

Avec Dissonance Theory, Coroner signe un retour à la fois attendu et déroutant : plus qu’une reformation nostalgique, c’est une œuvre de maturité, tendue entre passé et futur. Là où beaucoup de vétérans se contentent de recycler leurs formules, les Suisses préfèrent déstabiliser, interroger, explorer. Si certains regretteront la furie pure de Mental Vortex ou la nervosité de No More Color, d’autres salueront cette évolution vers un metal plus réfléchi, presque philosophique. Coroner ne cherche pas à plaire : il cherche à exister, encore, différemment. Et dans ce sens, Dissonance Theory réussit pleinement sa mission : rappeler qu’entre raison et chaos, la dissonance reste la plus belle des vérités sonores.