No One Was Driving The Car, LA DISPUTE

No One Was Driving The Car, LA DISPUTE

5 septembre 2025 0 Par Fly_HxC

 

Si jamais vous aimez prendre régulièrement votre grosse dose de mélancolie musicale, il est tout simplement impossible que vous soyez passé à côté des plus de 20 ans de carrière de LA DISPUTE !
Pilier de la scène Post-Hardocre outre atlantique, ils reviennent avec un 5eme album, No One Was Driving the Car, 6 ans après son prédécesseur.

 

Et il y en a des choses à dire sur ce nouvel opus !
On peut commencer par souligner le fait qu’une grande majorité de ce dernier nous avait été dévoilée sous forme de 4 EPs, numérotés de I à IV, et parus entre le 13 Mai et 04 Août.
2 Nouveaux morceaux viendront donc s’ajouter à la liste de ces 12 titres, et ainsi, clôturer cette release que beaucoup de fans qualifient de “retour aux sources”

No One Was Driving the Car est un album autoproduit qui taille sa matière dans l’angoisse pure. Inspiré par le thriller dramatique First Reformed (2017), il met en scène l’attente suffocante d’une apocalypse déjà en marche, nourrie par la fuite en avant technologique. Même son titre claque comme une gifle : tiré d’une réplique d’un flic après un crash mortel de Tesla en pilotage automatique au Texas en 2021. Une phrase absurde, sinistre, qui résume parfaitement notre époque — personne ne tient vraiment le volant, et nous fonçons droit dans le mur.

Cet album se vit donc comme une pièce de théâtre en 5 actes :

Le premier, s’ouvrant sur l’excellent “I Shaved My Head”, une parfait entrée en matière avec son introduction batterie/voix, gagnant de plus en plus en intensité, avant d’enchaîner sur “Man With Hands and Ankels Bound” et “Autofiction Detail”, deux titres bien plus rock et catchy, où la voix de Jordan Dreyer continue de nous absorber dans son récit sur cet homme étant spectateur de sa lente dissociation de lui même, luttant pour se reconnecter aux plaisir de la vie en laissant derrière lui ses incertitudes, dans un monde emplit de tristesse et de malheurs.

Le deuxième acte se compose quant à lui d’un seul morceau, mais qui, avec ses 8 minutes 41, prend tout autant d’importance sur cet album que les autres chapitres, aussi bien en termes de durée que d’intensité.
Avec « Environmental Catastrophe Film », le groupe balance un morceau minutieux jusque dans ses moindres détails. C’est un slow-burn hypnotique, qui avance à pas feutrés avant de tout faire éclater dans une décharge émotionnelle. Obsédant, torturé, le titre navigue entre mémoire, deuil, culpabilité, effondrement écologique et fuite inexorable du temps. Écrit comme un récit morcelé, poétique et brut, il mêle fragments intimes et horizon collectif, comme si l’histoire personnelle ne pouvait plus être dissociée de la catastrophe globale

Le fondateur du groupe nous explique à propos de l’acte 3 que « Ce nouvel acte pousse plus loin l’introspection du narrateur, en partant de sa maison. La dissociation évoquée dans l’acte I, d’abord personnelle, commence ici à affecter son entourage. À travers des autoportraits imaginaires et quatre événements marquants de sa jeunesse, il remonte le fil de sa vie dans une suite narrative profondément intime. »
Les cinq morceaux de cet acte revisitent des instants charnières de la vie du narrateur. Une chasse avec son père et son frère, qui tourne à la découverte macabre d’un camp abandonné, sur un fond de métaphore des chemins qui se séparent. L’anniversaire des cinquante ans de la mère, où une dispute familiale éclate avant qu’une réconciliation tardive ne vienne refermer la plaie. Une tentative de recrutement douteuse visant sa compagne étudiante, reflet des infiltrations toxiques du capitalisme et de la religion dans leur quotidien. Et enfin, le souvenir d’un ami soudainement disparu : une nuit enneigée, une voiture, un dérapage, l’image brute de la jeunesse qui file vers l’inévitable.

Musicalement parlant, cet acte monte crescendo en intensité, partant de “Self-Portrait Backwards”, seulement en duo guitare/voix, pour se conclure sur “Steve”, un morceau se terminant de façon bien plus chaotique, à l’image du départ de l’ami en question…

Passons maintenant au 4eme acte.
Ce dernier, principalement inspiré donc par le thriller psychologique First Reformed (2017), ouvre une brèche spirituelle et métaphysique dans le récit. Le morceau d’ouverture, « Top-Sellers Banquet », détourne la scène de lévitation du film : Jordan Dreyer y décrit un banquet d’entreprise où, au milieu d’un ballet bien huilé, les danseurs finissent par s’élever dans les airs et se rejoindre au delà de la réalité. Une vision à la fois grandiose et inquiétante, où la transcendance se mêle à la mascarade du capitalisme. Ce titre, lui aussi dépassant les 8 minutes, nous offre son lot de montagnes russes auditives et émotionnelles. L’opposé totale de “Saturation Dive”, second morceau qui compose cet acte, lui aussi en duo guitare/voix, mariant un lyrisme spectral à une acoustique inquiétante, évoquant une descente dépouillée dans le traumatisme et l’aliénation. « I Dreamt of a Room With All My Friends I Could Not Get In », quant à lui, conclut ce chapitre avec ce gimmick propre au style, emportant l’auditeur avec lui dans sa montée en intensité jusqu’à finir dans une véritable explosion musicale.

La fin de l’album se profile, et il est donc temps de se pencher sur les 2 titres encore inconnus du public.
Le morceau éponyme surprend par son lâcher-prise brutal. En effet, c’est sur une trame acoustique réduite à l’os que Dreyer se retrouve à hurler son texte. Le paradoxe est frappant, l’intensité explose précisément là où la musique se dépouille, et crier dans le vide devient ici un geste de vérité.
Ce 5eme opus se conclut finalement par « End Times Sermon », un nouveau morceau acoustique sur lequel le chanteur viendra encore y poser uniquement sa voix. Ses paroles nous plongent dans la souffrance imposée par le pouvoir et la fatalité. Entre oppression, destruction et chaos, les gestes humains que nous considérons comme anodins, comme planter un jardin ou faire pousser des fleurs, deviennent des éclats fragiles de résistance et d’espoir au milieu d’un monde implacable.
Le titre se termine par un speaker s’adressant à l’auditeur en exprimant sa frustration et ses inquiétudes face à une société riche mais aveugle, où l’indifférence et le manque de solidarité creusent la pauvreté morale et sociale. Dans ce court monologue, ce dernier s’interroge sur l’avenir des enfants et souligne l’urgence de se soucier les uns des autres avant qu’il ne soit trop tard.

 

Il est vraiment compliqué pour moi de coucher sur le papier tout ce que nous fait ressentir cet album, et je vous invite donc vivement à le découvrir par vous même.
Mais si je devais conclure cette chronique avec quelques lignes supplémentaires, je dirais que le choix de la structure en actes de ce nouvel effort force l’immersion, brise la consommation rapide et impose l’attention. Brut, viscéral, chaque cri, chaque souffle sert la vérité du moment, où Post-hardcore, passages cinématographiques et théâtralité se mêlent pour raconter plus que des mots.
No One Was Driving The Car est exigeant, parfois éprouvant, mais laisse des images qui brûlent, et une émotion d’une rare intensité.