Interview avec Grandma’s Ashes
28 novembre 2025 0 Par ChachaAvec BRUXISM, leur nouvel album prévu pour le 24 octobre 2025 chez Verycords, Grandma’s Ashes revient avec un projet plus viscéral, nerveux et cathartique que jamais. Porté par des sonorités brutales mais profondément sensibles, ce disque s’impose comme une plongée dans les tensions modernes : l’anxiété quotidienne, la surcharge émotionnelle, le chaos urbain, mais aussi la rage créative et la quête de liberté. Entre metal progressif, grunge, stoner et expérimentations plus organiques, le trio affirme un ADN renouvelé, sans fard et sans compromis. Rencontre avec Edith, Eva et Myriam, qui nous racontent la genèse de cet album sous haute tension, entre instinct collectif, recherche d’équilibre et refus assumé d’entrer dans les cases.
Le bruxisme, c’est le fait de grincer des dents — un terme fort et viscéral. Qu’est-ce qui vous a donné envie de construire un album autour de cette idée ?
Edith: Quand on a trouvé ce nom pour l’album on trouvait que le mot, “bruxisme”, contenait déjà la direction et les sonorités qu’on voulait pour cet album, avec ses consonnes en tension, un seul mot impactant et presque stressant à sa prononciation. C’est un symptôme général de toutes les angoisses présentes dans nos chansons.
Musicalement, “BRUXISM” semble encore plus affirmé et dense que vos précédents projets. Qu’est-ce que vous vouliez libérer ou exprimer cette fois-ci ?
Edith: En revenant de la tournée de This Too Shall Pass, qui était un album plus progressif et mélancolique, on avait envie de se laisser exploser sans pudeur et sans détour. On a voulu se faire plaisir en étant moins cérébrales, plus brutalement instinctives donc on a laissé de côté les métaphores et les structures plus complexes pour aller à l’essentiel, regarder ce qu’on voulait exprimer en face.
Si “BRUXISM” était un état physique ou une sensation, comment le décririez-vous ?
Edith: C’est un peu comme quand tu es bloqué sur la ligne 13 à 18h, l’air est moite, les gens sont à 1 cm de ton visage et te marchent dessus pour sortir, les grincements du métro sur les rails t’explosent les oreilles, ton corps sature de la fatigue, du stress de la journée et tu rêves d’une salle de casse pour te défouler.
Est-ce que vous avez ressenti une forme de catharsis en enregistrant cet album ?
Edith: Oui bien sûr, on écrit toujours à partir d’expériences très personnelles, c’est un long processus qui nous plongent dans nos émotions et qui agit comme une seconde thérapie. Il y a une forme de libération de pouvoir partager ça ensemble puis avec notre public.
Y a-t-il un morceau qui, pour vous, résume le mieux votre évolution depuis vos débuts ?
Edith: On a adoré composer Flesh Cage, elle est exactement tout ce qu’on aime faire et le nouvel ADN Grandma’s Ashes quelque part: des gros riffs brutaux, une batterie indus, du growl mélangés à des passages plus lyriques et contemplatifs.
Quelle a été la plus grosse galère ou la plus grande révélation pendant l’enregistrement ?
Eva: à la fois une galère et une révélation, il manquait une chanson à l’album qu’on avait du mal à terminer/compléter : “Dormant” . Quelques semaines avant de partir enregistrer, j’ai commencer à growler et me suis dit que c’était peut-être ce qui manquait à l’album comme touche finale. J’ai rajouté du chant saturé à la fin de flesh cage et écrit la fin actuelle de Dormant en proposant cette nouvelle direction aux filles, un peu dubitative sur la pertinence de ce revirement stylistique très marqué metal au milieu d’une tracklist qui avait déjà un sens sans. Au final tout le monde a adoré, on a retravaillé les deux titres en incluant totalement le growl et on est parti en Belgique quelques jours après !
Votre son est à la croisée du metal progressif, du stoner, du grunge… Est-ce que vous vous reconnaissez dans une scène particulière ou vous préférez rester hors des cases ?
Eva: je crois qu’on aime bien rester hors case, parce que nous même on ne sait pas trop où on se situe et on a envie de rester totalement libre dans notre composition, sans étiquette qui pourrait nous influencer.
Comment percevez-vous la scène metal francophone actuelle ? Vous sentez-vous appartenir à une nouvelle génération ?
Eva: La scène metal actuelle est florissante, en témoigne la première édition des foudres du metal à laquelle on a participé, le public était constitué de tout âge, genre, et même intérêts musicaux. On croise sur la route, en France et à l’étranger de plus en plus de jeunes groupes en développement ou en train d’exploser, et on est très contentes d’en faire partie, on se sent vraiment intégrées dans cette nouvelle vague depuis la tournée précédente !
On dit souvent que le metal est en train de se réinventer, entre hybridation et ouverture à d’autres influences. Qu’est-ce qui vous inspire ou vous agace dans cette évolution ?
Eva: Le metal s’ouvre et s’inspire de beaucoup d’autres genres depuis quelque temps et c’est très rafraîchissant ! Ça évite de tourner en rond sur les mêmes influences trash/ heavy qui ont solidifiées le socle pendant des décennies. L’arrivée dans les années 90 du hip hop a déjà marqué un renouvellement salvateur pour le metal , et maintenant le croisement avec le jazz, le classique, la pop, l’électro, continuent de faire évoluer ce style. Je trouve ça génial que le metal se rende accessible à un plus grand public, que les artistes s’en réapproprient les codes pour amener de la fraîcheur !
Pensez-vous que le public metal d’aujourd’hui a changé — plus curieux, plus ouvert, ou au contraire plus nostalgique ?
Eva: je trouve que le public est globalement beaucoup plus ouvert. Évidemment il y a toujours des puristes, et heureusement, mais beaucoup du public qu’on croise se réjouit de se laisser surprendre par de nouvelles influences.
Quels groupes récents vous ont vraiment surpris ou redonné foi dans la scène ?
Eva: L’effondras – Landmarks – les Psychotic Monks et tant d’autres groupes ouverts d’esprit, qui font du bien à la scène par leurs vision novatrice des musiques extrêmes, et leurs positionnements engagés.
Si vous pouviez collaborer avec un·e artiste hors metal, qui ce serait et pourquoi ?
Eva: Sûrement une artiste de rap, Aya Nakamura, Théodora.
Le rap c’est un style musical qui est encore très peu associé au metal, et les rappeuses modernes françaises nous inspirent énormément, de par leur énergie, leur positionnement féministe dans une scène souvent sexiste, leurs textes acérés, tout nous attire.
Est-ce que vous sentez que la représentation féminine dans le metal évolue réellement, ou qu’il y a encore des plafonds de verre ?
Eva: il y a toujours des aprioris, toujours une façon de parler et de concevoir la musique jouée par d’autres personnes que des hommes (blancs) qui reste biaisée et sexiste. On a toujours des questions liées au genre, toujours des petites remarques déplacées, j’imagine que c’est pareil pour les groupes plus connus, pour les groupes qui démarrent aussi évidemment. Il y a beaucoup plus de représentation sur la scène, et c’est très important mais les mentalités n’évoluent malheureusement pas du jour au lendemain
Selon vous, qu’est-ce qu’apporte une perspective féminine au metal — que ce soit dans la sensibilité, la rage, la poésie ?
Eva: Rien de plus que n’importe quel homme un peu proche de ses émotions qui ferait de la musique
Myriam : je ne pense vraiment pas qu’être une femme apporte une perspective différente à mon jeu de guitare, ou que ma rage soit différente de celle d’un « musicien masculin » (bizarre de le dire dans l’autre sens non ?). Par contre, notre album a été composé depuis le point de vue de trois personnes arrivant à la trentaine dans un monde qui périclite, où la surconsommation et l’individualisme arrivent à leur paroxysme. C’est cette perspective là qui nourrit notre rage et notre poésie.
Est-ce que vous avez l’impression que les médias ou le public vous abordent encore différemment parce que vous êtes des femmes ?
Myriam : Comme le prouve la question précédente, beaucoup de gens pensent que le fait d’être des femmes rend notre musique plus « sensible », plus « poétique ». Je ne pense pas qu’on ait déjà posé cette question à Jeff Buckley par exemple, c’est fou comme notre musique est perçue par le prisme de notre genre. Fermez les yeux et écoutez avec vos oreilles, bon sang.
Comment fonctionne la chimie entre vous trois quand vous composez ? Y a-t-il une “alpha” ou c’est plus organique ?
Myriam : C’est totalement organique. On prend un temps pour écrire chacune de notre côté des bouts de paroles, de riff, de rythmes. On discute beaucoup avant de jammer. On a une approche assez synesthésique et impressionniste quand on compose pour essayer de recréer des ambiances comme le remous des vagues, la sensation d’être oppressées dans le métro, le bruit du vent sur l’Esplanade de la Défense l’hiver par exemple. À partir de ces bouts de jams, on se pose la question du thème de la chanson et des parole, Eva rassemble tout pour poser de la voix et proposer des mélodies, puis on se passe le morceau pour le retravailler petit a petit.
Vous semblez avoir une vraie signature sonore : lourde mais aérienne, violente mais sensible. Comment trouvez-vous cet équilibre ?
Edith: On a toutes les trois des influences très diverses, on écoute beaucoup de metal mais aussi de la folk, de la pop … On est très inspirées par des artistes plus expérimentaux, qui jouent avec les codes de genres parfois très cloisonnés comme Zeal & Ardor, aussi des artistes d’art rock ou avant-pop comme Björk, Fever Ray. On aime se laisser une grande liberté quand on compose, on laisse de côté les attentes stylistiques pour laisser aller notre créativité, naturellement notre musique se nourrit de nos complexités et nos contrastes.
Y a-t-il un moment où vous savez qu’un riff ou un texte est “le bon” — ou c’est plus une question d’instinct collectif ?
Eva: je dirais une question d’instinct collectif.
Quelle part le visuel et l’esthétique (clips, visuels, scène) joue dans votre univers ?
Eva: une part importante ! On compose beaucoup avec des références visuelles donc c’est essentiel pour nous de retranscrire par la suite ce qu’on a imaginé visuellement pour accompagner notre musique
Si BRUXISM était un film d’horreur, lequel serait-ce ?
Hellraiser!
Si vous pouviez remplacer la grand-mère des “Grandma’s Ashes” par une figure célèbre, qui ce serait ?
Myriam : Ce serait Patti Smith, elle écrit si bien, on aimerait trop se poser avec elle autour d’un feu sous un plaid et qu’elle nous raconte sa vie incroyable.
Si vous pouviez faire un concert n’importe où, sans limite de lieu ou de moyen, où serait-ce ?
Myriam : je crois qu’on aimerait beaucoup faire un concert au cimetière de Monjuïc à Barcelone.
On aime beaucoup se balader dans les cimetières de manière générale quand on est en tournée, ce sont toujours des endroits calmes, apaisés et apaisants. Il y a quelque chose de rituel, de cathartique dans notre musique qui collerait bien avec cette ambiance. Sinon une immense cathédrale gothique.
Si vous deviez dessiner votre avenir, à quoi ressemblerait la toile ?
Myriam : À la tentation de Saint Antoine de Bosch. Avec des animaux féroces et plein d’épisodes un peu absurdes dans une ambiance apocalyptique.
Et enfin, pour le fun : vous grincez des dents à cause de quoi, dans la vie ?
Eva: la vie citadine, le sexisme dans notre profession, la pression…
Grandma’s Ashes signe un album dense, hybride et résolument personnel, où chaque riff, chaque image et chaque mot semblent grincer comme un exutoire nécessaire. Le trio, libre et insaisissable, continue de tracer sa route hors des catégories, porté par une créativité nourrie autant par la rage que par la lucidité. À l’aube d’une nouvelle ère pour la scène metal francophone, les musiciennes s’imposent comme l’une des voix les plus singulières de cette génération, capables de mêler violence et poésie sans jamais perdre leur sincérité. Une chose est sûre : leurs dents continuent de grincer — et c’est une excellente nouvelle pour la scène.


