Bastard Hymns, EXCIDE

Bastard Hymns, EXCIDE

28 novembre 2025 0 Par Chacha

 

La dissonance comme catharsis

Avec Bastard Hymns, EXCIDE livre un premier album qui ne cherche ni le consensus ni la facilité. Héritier direct de la scène hardcore moderne qui puise autant dans la dissonance metal que dans la nervosité post-hardcore, le groupe propose ici une œuvre radicale, affûtée, et étrangement sensible sous son armure abrasive. Bastard Hymns n’est pas seulement un déferlement de chaos pensé : c’est un journal intime fragmenté, où chaque éclat sonique devient un aveu, un reproche ou une confession.

 

Un chaos méthodique – La genèse d’un album viscéral

EXCIDE façonne Bastard Hymns comme un geste d’émancipation. L’album naît d’une période de transition créative et émotionnelle où le groupe opte résolument pour l’honnêteté brutale plutôt que pour la recherche d’un son poli. Ici, tout suinte l’urgence : la tension permanente des guitares, les attaques rythmiques au cordeau, les voix qui alternent entre hurlement contrôlé et parole arrachée.
En studio, EXCIDE choisit l’âpreté plutôt que le confort, ce qui donne à l’album son grain si particulier—un mélange de rugosité, d’instinct et de précision chirurgicale. Bastard Hymns ressemble moins à une collection de morceaux qu’à une longue expiration retenue trop longtemps.

Hymnes d’exil intérieur – Les thèmes : isolement, colère et survie

Sur le plan lyrique, Bastard Hymns explore un territoire instable : celui de la perte, de l’épuisement émotionnel et du sentiment d’être un intrus dans sa propre vie. La colère y est omniprésente, mais jamais gratuite. Elle sert d’exutoire, de moyen pour recoller les morceaux d’un soi fissuré.
Les textes oscillent entre auto-analyse douloureuse (“No Son”, “Pariah”), confrontation directe avec les déceptions relationnelles (“Your Flowers”, “Worth Your Salt”), et désillusion existentielle (“Void Of Function”, “Call Box”).
L’album aborde la solitude moderne, la culpabilité, les dynamiques toxiques, la lassitude quotidienne—autant de thèmes qui témoignent d’une sensibilité punk assumée, où la vulnérabilité devient une arme.

Frappes essentielles – Les titres phares qui donnent sa colonne vertébrale à l’album

“No Son” – Une ouverture frontale et dévastatrice

L’album s’ouvre sur l’un de ses titres les plus abrupts. Guitares serpentine, batterie convulsive, voix rendue presque suffocante par ses cassures rythmiques : EXCIDE signale immédiatement qu’il ne fera aucun compromis. Les paroles évoquent une rupture identitaire, un décalage familial et social qui donne le ton émotionnel du disque.

“Worth Your Salt” – Amertume, tensions et catharsis

L’un des morceaux les plus nerveux, où les saccades rythmiques servent un texte centré sur la valeur personnelle—celle que l’on quémande, celle qu’on refuse de concéder. Le refrain, plus mélodique mais toujours sous pression, montre la capacité du groupe à injecter de l’émotion sans jamais relâcher la brutalité.

“Your Flowers” – Mélodie étouffée sous la douleur

Ici, EXCIDE développe un équilibre rare entre dissonance et sensibilité. Les lignes vocales, plus modulées, transportent un texte empreint de regrets et de relations parasitaires. C’est un des morceaux les plus accessibles du disque, sans jamais trahir l’esprit acéré du groupe.

“Pariah” – Isolation en haute tension

Titre d’une violence froide, “Pariah” traduit la sensation d’être rejeté ou étranger parmi les siens. La construction en escalade, suivie d’un effondrement final, incarne musicalement le cycle de rejet et de résignation décrit dans les paroles.

“Shine Thru Blues” & “Down In The Mouth” – Le diptyque du malaise

Ces deux morceaux forment un cœur d’album d’une noirceur saisissante. Rythmiques infectées, guitares qui grincent comme des blessures mal fermées : c’est la partie la plus introspective et anxiogène du disque. Les lyrics plongent dans l’apathie, les journées sans relief, la fatigue mentale.

“Bastard Hymn” – L’étendard du disque

Le morceau-titre est le parfait concentré de l’identité d’EXCIDE. Un chaos ordonné, une écriture presque mathématique dans sa violence, et un message limpide : ce sont les “hymnes bâtards”, ceux nés de la douleur, de l’imperfection et de l’épuisement, qui disent la vérité sur nous. Rare, intense, marquant.

“Ruiner ’95” – Le cri nostalgique et acéré

Avec ses riffs acérés et son énergie presque punk, ce titre évoque une forme de nostalgie toxique — celle d’un passé qui n’était pas si lumineux mais auquel on se raccroche par dépit. Le morceau a quelque chose d’immédiat, de brut, presque live.

“Heartware” – La fissure à vif

Peut-être le morceau le plus émotionnel de l’album. Le texte s’attarde sur le sentiment d’être défaillant, technologiquement ou émotionnellement, comme une machine qui s’use de l’intérieur. Musicalement, le morceau se distingue par son groove écrasant et ses changements de dynamique parfaitement placés.

“Void Of Function” & “Call Box” – La sortie en chute libre

L’album se referme sur deux pièces qui accentuent le sentiment d’épuisement mental.
“Void Of Function” : dissonance totale, sensation de saturation, texte centré sur la perte de sens.
“Call Box” : une finale plus atmosphérique et paranoïaque, presque claustrophobe, qui laisse l’auditeur vidé mais étrangement apaisé. Fin parfaitement cohérente.

 

Bastard Hymns est un album d’une intensité rare. EXCIDE y combine chaos et introspection, violence et lucidité, cri et confession. Sans chercher à plaire, le groupe signe un disque puissant, dense, et parfaitement ancré dans l’ère moderne du hardcore dissonant.
Les “hymnes bâtards” d’EXCIDE résonnent longtemps après la dernière note : ce sont les chants de celles et ceux qui avancent déchirés, mais debout.