Kids Abandoning Destiny Among Vanity And Ruin, KADAVAR

Kids Abandoning Destiny Among Vanity And Ruin, KADAVAR

7 novembre 2025 0 Par Chacha

 

Kadavar n’est plus seulement ce groupe berlinois qui réhabilite les vibrations occultes du rock des années 70 : au fil du temps, la formation a sculpté une identité singulière, à la fois lourde, introspective et visionnaire. Avec Kids Abandoning Destiny Among Vanity And Ruin, le trio se confronte à l’époque actuelle, à ses illusions et à ses fractures, et en livre une lecture sonore profondément personnelle. L’album apparaît comme une mue, une transition vers quelque chose de plus sombre, de plus vulnérable, mais aussi de plus urgent

 

Briser le miroir : Kadavar face à l’abîme

Visuellement, Kids Abandoning Destiny Among Vanity And Ruin s’ouvre sur un miroir fracturé : les visages du groupe y apparaissent découpés en éclats, comme si l’identité même se dérobait. Cette image n’illustre pas seulement une esthétique désabusée, mais un état intérieur. Les clips associés à l’album prolongent cette impression : couleurs ternies, poussière en suspension, corps filmés de près comme s’ils cherchaient à s’extraire d’un malaise invisible. Kadavar ne joue pas avec la ruine, il vit dedans — dans la fatigue d’un monde qui tourne trop vite, trop fort, jusqu’à briser ses propres reflets.

L’album est né de sessions longues, répétitives, presque rituelles. Le groupe a puisé dans le krautrock pour les structures étirées, dans le doom pour la pesanteur, dans le rock progressif pour la narration intérieure, et même dans un certain folk spectral pour laisser respirer les silences. Chaque morceau est construit pour être vécu, pas seulement entendu. La production garde volontairement le grain rugueux, les amplis qui vibrent, la voix qui se fissure quand l’émotion sature. Rien n’est aseptisé. On entend l’instant, la pièce, la tension du moment. L’album sonne comme quelqu’un qui parle vrai.

Dès « Lies », je sens le sol se dérober. La guitare trace un motif hypnotique, la basse se met à peser dans ma poitrine, et la voix accuse — doucement, sans colère, parce que la trahison la plus douloureuse est celle qu’on comprend. Avec « Heartache », la blessure s’ouvre davantage : le morceau se déploie comme une confession qu’on n’aurait jamais voulu prononcer. Puis vient « Explosions in the Sky », qui n’a rien de lumineux — c’est un ciel qui brûle au-dessus de nous, un paysage d’après la tempête, une beauté terrifiante. Les notes semblent suspendues dans une brume chaude, et je me surprends à retenir ma respiration.

La courte vignette « The Corner of E 2nd & Robert Martinez » agit comme une photo trouvée dans un tiroir : un souvenir impossible à saisir, mais qui continue d’exister. « Stick It » renverse la dynamique : le riff s’affirme, mord, frappe — c’est la colère qui revient quand on s’est trop longtemps retenue. « You Me Apocalypse » ouvre quant à lui un espace plus émotionnel, presque intime, où la fin du monde est une affaire à deux. Dans « The Children », on sent le regard tourné vers ceux qui viennent après — ou peut-être vers ce que nous avons cessé d’être. C’est un morceau qui serre la gorge sans la brusquer.

Puis tout bascule avec « K.A.D.A.V.A.R. », morceau-totem, sorte de mantra électrique où le groupe affirme sa propre transformation. On n’est plus dans l’hommage, ni dans la nostalgie : Kadavar devient quelque chose de plus brut, plus lucide, plus humain. Enfin, « Total Annihilation » referme l’album comme une marche lente dans les cendres — solennelle, presque majestueuse. Ce n’est pas la fin : c’est ce qui reste après.

En tant qu’auditrice, je traverse ce disque comme un miroir dans lequel je ne suis pas certaine de vouloir me voir. Je m’y reconnais morcelée, à vif, habitée par des contradictions. Par moments, la musique me porte — à d’autres, elle me met face à moi-même. Mais jamais elle ne me laisse neutre. Je ressors différente, comme après une conversation trop honnête.

Kids Abandoning Destiny Among Vanity And Ruin n’est pas seulement un album : c’est une traversée. Un regard lucide posé sur ce que nous perdons, mais aussi sur ce que nous sommes encore capables de reconstruire, même dans les ruines.

 

Avec Kids Abandoning Destiny Among Vanity And Ruin, Kadavar signe une œuvre à la fois grandiose et douloureuse, traversée par des éclats de lucidité et de rage sourde. C’est un disque qui ne cherche plus à plaire ni à rendre hommage, mais à dire — dire le monde tel qu’il vacille, et l’humain tel qu’il doute. Plus qu’un simple album de rock, c’est une traversée émotionnelle, un miroir brisé tendu à une génération perdue entre désillusion et désir de renaissance. Kadavar ne se contente pas de regarder les ruines : il y marche, torche à la main, pour y chercher de nouveaux chemins.